Pour amadouer Bruxelles
Loi Macron, le choix du « toujours moins »
On ne change pas une politique qui perd. Ni la déroute subie lors des élections départementales, ni l’ancrage de l’extrême droite, ni la montée du chômage ne calment les ardeurs libérales du président François Hollande et de son premier ministre Manuel Valls. En témoigne le projet de loi de M. Emmanuel Macron.
par Martine Bulard,
avril 2015
http://www.monde-diplomatique.fr/2015/04/BULARD/52833
http://www.monde-diplomatique.fr/2015/04/BULARD/52833
Pas un jour de répit pour la Grèce, au bord de l’asphyxie ; deux ans de délai pour la France, qui avait déjà obtenu deux reports dans l’application des normes bruxelloises. Tel est le verdict de la Commission européenne, qui semble se montrer, une nouvelle fois, ferme avec les faibles et laxiste avec les forts.
Mais l’apparence est trompeuse. Si les niveaux d’endettement et d’austérité ne se comparent pas et si les « exigences » des technocrates bruxellois n’ont pas la même ampleur, le chantage est identique : il faut supprimer tout ce qui fait obstacle à l’enrichissement des plus riches et à la mainmise des actionnaires sur les entreprises. C’est d’ailleurs ce qui aurait pu amener les dirigeants se réclamant de la gauche, MM. Alexis Tsipras et François Hollande, à s’épauler pour desserrer l’étau, comme l’espérait le premier. Que nenni.
Paris a choisi de gagner la mansuétude de Bruxelles en lui donnant de nouveaux gages. Le projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » concocté par le ministre de l’économie Emmanuel Macron est taillé sur mesure en vue de cet unique objectif. Avec ses deux cent quatre-vingt-quinze articles dans la formule déposée au Sénat, qui doit en discuter du 7 au 22 avril (1), le projet touche à tout : libéralisation des lignes d’autobus ; accroissement du travail du dimanche et de nuit ; limitation du rôle des prud’hommes ; affaiblissement du code du travail ; déréglementation de la profession des notaires ; privatisation de l’industrie de l’armement et des aéroports ; filialisation de centres hospitaliers universitaires ; assouplissement des normes environnementales…
Ce bric-à-brac aurait dû concerner les ministères du travail, de la justice, des transports, du logement et de l’écologie, entre autres. Il est resté de bout en bout entre les mains de M. Macron — histoire de bien affirmer l’emprise de la nouvelle coqueluche du président de la République sur le reste du gouvernement.
Il a, en tout cas, suscité l’enthousiasme de l’autre côté du Rhin. « C’est une bonne chose que cette loi ait été adoptée. (…) Preuve d’une bonne capacité d’action » du gouvernement français, a clamé la chancelière allemande Angela Merkel (2). Même satisfecit du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker au micro d’Europe 1 (3) : « C’est une démarche qu’il convient de saluer. » Et d’ajouter, comme un ordre : « Je voudrais que l’effort en matière de réformes structurelles aille plus loin. »
Quant au commissaire européen Pierre Moscovici, qui présidait aux décisions budgétaires de la France un an plus tôt, il a salué ce « pas dans la bonne direction » pour tout aussitôt fustiger le manque d’ambition réformatrice du gouvernement et menacer de « l’éventualité de sanctions (4) ». Au bal des hypocrites, l’ex-ministre est le roi de la valse.
On ne peut pas dire que, du côté français, l’habileté de M. Macron ait emporté la conviction parlementaire, y compris chez des députés socialistes ayant déjà avalé nombre de couleuvres. Le président Hollande et le premier ministre Manuel Valls ont dû imposer ce projet de loi par la force du 49-3 — une disposition constitutionnelle que M. Hollande qualifiait autrefois de « brutalité » et de « déni de démocratie » (5). Il lui trouve aujourd’hui l’immense mérite de permettre l’adoption de son projet sans vote (6) (donc sans risque de rejet) et un traitement rapide. Or, justement, le président et son premier ministre voulaient tout boucler pour la fin février au plus tard, date de la distribution des bons (et mauvais) points fixée par M. Juncker — manifestement moins soucieux des règles communes quand il transformait le Luxembourg en paradis fiscal. Dès la mi-janvier, Paris a vu débouler une délégation d’experts envoyée par la Commission pour « éplucher » les comptes de Bercy (7). Un avertissement.
Membre d’un gouvernement socialiste, M. Macron aime à répéter que sa loi s’attaque à la « rente » des notaires et des pharmaciens, notables majoritairement électeurs de droite et facilement montrés du doigt, même si certains, notamment à la campagne, ne répondent pas à cette imagerie. Mieux vaut désigner ces catégories que la « rente » des actionnaires au niveau le plus haut depuis la crise. Il serait cependant injuste de ne pas reconnaître une tentative de lutte contre les abus, et certains progrès :
meilleure protection des locataires à faible revenu ayant une personne âgée de plus de 65 ans à leur charge (art. 25) ; possibilité de passer l’examen du code de la route dans les locaux des lycées (ce qui devrait raccourcir, un peu, les délais d’attente) et affichage obligatoire des taux de réussite à l’examen du permis de conduire par les écoles de conduite (art. 9 IV) ; majoration de 30 % des heures travaillées le dimanche dans les grandes surfaces alimentaires (art. 80 bis A). Quelques mesures positives dans un océan de reculs sociaux.
Si le projet apparaît comme un fourre-tout, il n’en possède pas moins une grande cohérence idéologique, que l’on peut résumer d’une formule : « Toujours moins ». Moins d’Etat, moins de protection sociale, moins de droits syndicaux, moins de règles pour les entreprises, moins de contrôle public. Il est impossible ici de détailler toutes les mesures. On retiendra quelques exemples significatifs en les regroupant en cinq catégories : les droits sociaux et syndicaux, le temps de travail, les privatisations, les déréglementations et la centralisation technocratique.
1. Plus d’accords individuels
Pour la première fois depuis 1806, un employeur et un salarié pourront signer une convention amiable dans le cadre du code civil, sans référence à celui du travail. Or ce dernier, si imparfait soit-il, limite l’arbitraire patronal et le déséquilibre des forces entre un employeur qui « offre » un emploi et un employé qui doit gagner sa vie.Il a fallu la vigilance de l’inspecteur du travail Gérard Filoche pour détecter le tour de passe-passe de M. Macron (8). Formellement, le ministre s’est contenté de supprimer un petit alinéa dans l’article 2064 du code civil. Mais ce simple trait de plume change tout. L’alinéa passé à la trappe précisait :
« Aucune convention ne peut être conclue à l’effet de résoudre les différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. »
Désormais, l’obstacle est levé. Il suffit qu’un employeur voulant, par exemple, réduire le paiement des heures supplémentaires signe une convention avec un salarié « volontaire » pour qu’elle s’applique sans recours possible.
On glisse ainsi vers une justice à l’américaine où aucun code spécifique du travail n’existe au niveau national, les relations patrons-salariés relevant de la procédure civile. Les conflits s’y règlent dans 95 % des cas entre avocats, avant le procès. Nul besoin de jouer les mauvais esprits pour imaginer la disparité des moyens entre employeur et salariés. En France, ce sont les juges prud’homaux (dont l’accès est gratuit) qui examinent les affaires.
En bonne logique, M. Macron s’attache à grignoter leurs pouvoirs (art. 83 et 84, avec leur vingtaine de dispositions). Certes, le texte apporte un statut protecteur au « défenseur syndical », celui qui accompagne le salarié. Mais il impose aux conseillers des « obligations » renforcées — comme « s’abstenir de tout acte ou comportement public incompatible avec leur fonction » — et des sanctions alourdies (9).
Au nom du raccourcissement des délais de jugement, la loi facilite le recours aux séances en formation restreinte (un juge salarié et un juge employeur — au lieu de deux et deux). Un premier pas vers une justice plus expéditive à défaut d’être juste. Pour répondre aux délais effectivement insupportables (11,9 mois en moyenne, avec des pointes à deux ans, voire plus), mieux aurait valu accroître les moyens.
Non seulement le gouvernement écarte cette possibilité, mais l’élection des quinze mille conseillers prud’homaux n’est pas rétablie. Elle aurait dû se dérouler en décembre 2013 si M. Hollande ne l’avait pas supprimée. Comme explication, on a invoqué la forte abstention (74 % chez les salariés et 68 % chez les employeurs en 2008). A ce rythme, on pourra bientôt supprimer les élections législatives partielles : celle du Doubs le 1er février dernier a affiché 61 % d’abstention. L’argument avait déjà été avancé pour supprimer l’élection aux conseils d’administration des organismes de sécurité sociale après 1983. Ces scrutins sociaux étaient pourtant les seuls où tous les salariés et chômeurs — français et immigrés — avaient le droit de vote.
L’affaiblissement de la démocratie sociale s’accompagne d’une réduction des sanctions pour les employeurs qui violent la loi. Désormais, une liste de condamnations forfaitaires (« un référentiel ») sera établie (art. 83). M. Macron la voulait obligatoire, elle n’est qu’indicative. Mais comme les délais du jugement sont raccourcis, il est probable qu’elle s’installera dans les mœurs prud’homales.
Le patron saura à l’avance ce qu’il lui en coûte de contrevenir aux lois sociales… Si les sanctions sont inférieures à l’avantage espéré, il se produira exactement ce qui se passe actuellement avec les municipalités : elles préfèrent payer des amendes que de construire des logements sociaux. Fort symboliquement, la peine de prison prévue (jamais appliquée) en cas d’entrave aux missions des représentants du personnel passe à la trappe. Elle est remplacée par une amende de 7 500 euros maximum (art. 85 bis). Toujours le même principe : ceux qui ont de l’argent peuvent s’émanciper de la loi.
D’autres mesures sont instaurées pour réduire les obligations patronales en cas de suppressions d’emplois. Les inspecteurs du travail ne vérifieront plus si l’employeur a bien consulté les élus du personnel lors du licenciement de deux à neuf salariés ; les entreprises se déclarant en difficulté bénéficieront de procédures simplifiées pour licencier — dans un groupe, il suffira à la maison mère d’organiser l’insolvabilité de sa filiale pour être débarrassée (ou presque) de toute obligation ; en cas de « plan social », le reclassement obligatoire se limitera au seul niveau de l’entreprise et ne se fera plus à l’échelle du groupe.
Dans sa volonté de lever le moindre obstacle aux décisions patronales, M. Macron en est arrivé à concocter cet article kafkaïen : le jugement d’un tribunal administratif refusant un licenciement injustifié « ne modifie pas la validité du licenciement [et] ne donne pas lieu au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur » (art. 102). Le salarié injustement jeté dehors ne sera ni réintégré ni indemnisé !
Quant aux travailleurs détachés (10), le scandale n’est pas près de cesser. Certes, l’inspecteur du travail garde le droit de contrôler les entreprises qui y ont recours, de constater d’éventuels manquements (salaire inférieur au smic, absence de repos hebdomadaire, dépassement de la durée quotidienne de travail, etc.). Mais pour toute sanction, il devra se contenter d’« enjoindre par écrit à cet employeur de faire cesser la situation dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat » (art. 96). De quoi faire frémir les marchands de main-d’œuvre...
Une philosophie imprègne ces changements : mieux vaut un face-à-face patron-salariés que des accords collectifs ; mieux vaut des décisions d’en haut que la démocratie sociale ; mieux vaut le code civil que le droit du travail… Depuis la Libération, aucun gouvernement n’a à ce point injecté de potions libérales dans le corps social.
Emmanuel Macron, Ministre de l'Économie. |
2. Travailler plus et gagner moins
Pas moins d’une trentaine de dispositions nouvelles sur le travail ont été adoptées (art. 71 à 82 bis). Le projet de loi crée des « zones touristiques internationales » où les magasins pourront ouvrir tous les dimanches et tous les jours jusqu’à minuit. Même régime pour les commerces installés « dans les emprises des grandes gares ». Signe de l’autoritarisme ambiant : aucun maire ne peut s’y opposer, seul le gouvernement en décide. S’y ajoutent un remodelage et une extension des zones d’exception déjà existantes. Nul n’est aujourd’hui capable de dire combien d’espaces seront ainsi ouverts à tous les vents à côté de la quarantaine actuelle.Le ministre promet que cela créera des emplois (jusqu’à trente mille), sans en apporter la preuve. Et pour cause. La plupart des études existantes démontrent le contraire (11). La raison en est simple : ce qui est dépensé un jour ne peut l’être le lendemain. Certains économistes anticipent même la disparition accélérée des petits commerces.
Quant au « touriste chinois » qui choisirait Londres contre Paris faute de pouvoir acheter du parfum le dimanche aux Galeries Lafayette, comme le répète à satiété M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, cela relève du fantasme. On conseille au ministre de lire les études de ses propres services : il y apprendrait que la France est la première destination des touristes chinois en Europe et que leur nombre a doublé entre 2009 et 2013 (12). L’organisation du commerce ne semble pas les avoir trop gênés.
A ces ouvertures permanentes dans les zones réservées s’ajoutent les douze dimanches à la discrétion des maires et des préfets (contre cinq précédemment). Déjà, près de trois salariés sur dix (29 %) travaillent le dimanche (occasionnellement ou régulièrement), contre deux sur dix en 1990. A part la volonté d’ancrer l’idéologie du « tout consommation » dans un pays qui pourtant manque cruellement de pouvoir d’achat, rien ne justifie une telle remise en cause du repos dominical.
M. Macron assure que seuls les « salariés volontaires » seraient sollicités. Qui peut croire à une telle fable ? Aucun travailleur ne peut résister à une demande insistante de son patron. Au demeurant, la seule pression du pouvoir d’achat suffit à convaincre les plus réticents, le commerce et la grande distribution offrant des salaires de base très faibles. La moitié des employés à plein temps (souvent avec horaires décalés) y gagnent moins de 1 375 euros net par mois, contre 1 712 euros de salaire médian en France, selon l’Insee (« Emploi et salaires 2014 »). Beaucoup (un quart) sont contraints d’accepter un temps partiel, parfois très partiel, et notamment les femmes, qui forment les gros contingents de main-d’œuvre.
L’espoir d’obtenir des heures majorées risque cependant de se heurter à la réalité. En effet, la loi ne prévoit aucune contrepartie. Elle renvoie à un « accord collectif [ou] territorial » dont les contours restent vagues ou à la « décision unilatérale de l’employeur » après consultation des salariés. Jusqu’à présent, dans les zones existantes, en l’absence d’accord, l’employeur devait appliquer le code du travail et doubler la rémunération. Un cas de figure, il est vrai, devenu minoritaire, tant les accords de gré à gré ou au niveau de l’entreprise ont proliféré. Demain, la contrainte n’existera même plus : aucune référence au code n’est explicite dans le projet de loi (13). Dans un contexte de chantage à l’emploi, le moins-disant social risque de devenir la règle.
Il en est de même pour le travail de nuit, métamorphosé, par la grâce de M. Macron, en « travail en soirée » (de 21 heures à minuit). Seul un accord entre le patronat et les salariés, dans les mêmes conditions que pour le travail du dimanche, fixera des « contreparties pour compenser les charges induites par les frais de garde ». Est-il possible d’être plus imprécis ?
Par on ne sait quel miracle, les heures travaillées dans les commerces alimentaires de plus de quatre cents mètres carrés ont échappé au flou ambiant : elles seront majorées de 30 %. C’est mieux que la convention collective, qui prévoit une augmentation de 20 % quand le travail du dimanche est habituel, mais nettement au-dessous des 100% prévus quand il est occasionnel.
Non seulement les conditions de vie des salariés vont se dégrader, mais le gouvernement aura répondu aux attentes du patronat en sortant le travail du dimanche du système de dérogations pour l’installer comme norme.
3. Bijoux de famille à vendre
On ne dit plus « privatisation » mais « transfert au secteur privé » ou encore « opérations sur le capital des sociétés à participation publique ». C’est incontestablement plus distingué…En principe, le Parlement doit discuter des modalités de vente des entreprises publiques. M. Macron a dressé une liste de sociétés à privatiser et réclamé, si l’on peut dire, les pleins pouvoirs. Ainsi « la majorité du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales » va passer au privé (art. 47) sans barguigner. Fabriquer et vendre des armes (la France occupait le cinquième rang mondial en 2014) n’est pas très réjouissant. Mais en attendant un désarmement mondial, Paris se prive d’un instrument de souveraineté et de politique industrielle (que doit-on fabriquer ?), de diplomatie (à qui vend-on des armes ?), de ressources (le groupe vit de commandes publiques) et d’emplois. Déjà, la vente en cours d’une de ses filiales, Nexter, leader dans les matériels de combat, à l’allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) suscite des débats entre Berlin et Paris sur la destination des futures exportations (14).
Dans la liste Macron figure aussi la vente des aéroports de Lyon et de Nice-Côte d’Azur, dont « le transfert au secteur privé de la majorité du capital » est autorisé (art. 49). Ainsi le patrimoine de l’Etat fond à vue d’œil : en 2013, l’équipe Hollande a vendu une partie du capital d’EADS (3,7 %), de Safran (7,8 %), d’Aéroports de Paris (9,5 %) ; en 2014, de GDF Suez (3,1 %), d’Orange (1,9 %). Ce qui lui a permis d’engranger plus de 5 milliards d’euros (15). Sans oublier la vente d’Alstom à General Electric et, plus récemment, de la moitié du capital d’Aéroport de Toulouse-Blagnac.
Autre innovation du ministre : l’autorisation donnée aux « centres hospitaliers universitaires [CHU] de prendre des participations et de créer des filiales » (art. 42). Des entreprises privées pourront « valoriser » les fruits des recherches publiques. Plus original, elles auront la possibilité d’installer des établissements dans les riches capitales étrangères (comme pour le Musée du Louvre à Abou Dhabi), où les professeurs et les médecins les plus réputés pourront consulter ou opérer quelques jours par mois. Cerise sur le gâteau des mandarins : la création de sociétés intermédiaires pour faire venir dans les CHU de haute renommée les malades fortunés, à la manière de l’hôpital Ambroise-Paré à Paris qui, l’an dernier, a privatisé tout un étage pour accueillir un émir du Golfe. Les experts nomment cela « tourisme médical ». Le commun des mortels, lui, devra attendre que ces touristes d’un nouveau type soient soignés ou que le spécialiste rentre de son équipée étrangère pour obtenir quelque attention.
Dans la foulée, le projet de loi ratifie l’ordonnance du 20 août 2014 (art. 50) qui décrète que « les sociétés anonymes dans lesquels l’Etat détient une participation sont soumises au code du commerce ». Comme elles ne dépendent plus de la loi de démocratisation du secteur, le nombre de représentants salariés aux conseils d’administration y est réduit. « Il faut en effet laisser suffisamment de place aux représentants de l’Etat et aux administrateurs indépendants (16). » Comme dit le ministre, le rôle des administrateurs salariés — qui ont au moins le mérite d’empêcher l’entre-soi des gestionnaires — est marginalisé, tandis que grandit celui de l’Agence des participations de l’Etat. Laquelle est dirigée par M. Régis Turrini, ex-responsable des fusions-acquisitions chez Vivendi, et par Mme Astrid Milsan, ex-responsable des fusions-acquisitions chez HSBC… La parité hommes-femmes est respectée ; mais, côté origine sociale, la diversité apparaît nettement moins marquée…
En attendant, pour s’assurer que la SNCF ne dérive pas, le projet veut inscrire dans le bronze les conditions dans lesquelles elle peut investir pour développer ou moderniser ses infrastructures (art. 51). Aucun critère d’utilité ni de service au public. L’investissement dépendra du seul ratio
« endettement/marge opérationnelle », autrement dit du profit attendu. Pendant ce temps, les lignes d’autobus pourront se développer à grande échelle, quitte à concurrencer le chemin de fer (et à aggraver la pollution).
4. Déréglementation à tous les étages
Impossible de dresser la liste des déréglementations concoctées. Outre le transport, les commentateurs ont beaucoup parlé des avocats et des notaires, dont les conditions d’exercice sont libéralisées. Moins évoqué, l’allégement des normes pour la construction, notamment dans les zones touristiques (art. 24 et 25). Sous le titre « Faciliter les projets » (art. 26) est également prévue toute une série d’assouplissements des contrôles pour la protection de l’environnement et de dérogations au code de prévention des risques pour la construction de certains logements.Au chapitre des cadeaux en tout genre, le projet de loi Macron prévoit une réduction de la fiscalité et des cotisations sur la distribution gratuite d’actions qui profite aux très hauts cadres. Ce chèque pour riches s’élèvera à 300 millions d’euros en année pleine selon les services de Bercy et à 900 millions d’euros selon la plupart des spécialistes. Ajoutons une réduction des prélèvements sur le Plan d’épargne retraite collective (Perco), sorte de fonds de pension privé qui a du mal à décoller. Le gouvernement veut lui donner un coup de pouce financier et… privatisera pour combler le trou lié aux moindres rentrées fiscales.
5. La démocratie piétinée
Désormais, le recours systématique au gouvernement par ordonnances est entériné, au mépris des droits du Parlement. On l’a vu pour les privatisations. Dans le domaine environnemental (art. 28), le projet autorise le gouvernement à « prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi » pour « accélérer l’instruction et la décision relatives aux projets de construction », réduire « les délais de délivrance des décisions prises »… Le ministre assure que cela ne portera pas « atteinte aux principes fondamentaux du code de l’environnement ». Mais qui le garantit dès lors que les élus sont exclus ?La tentation autoritaire est tout aussi claire dans le domaine du droit du travail (art. 85). Ainsi, le gouvernement « est autorisé à prendre par ordonnance (…) les mesures relevant du domaine de la loi et modifiant le code de procédure pénale, le code rural et de la pêche maritime, le code des transports et le code du travail ». Et d’énumérer les objectifs, parmi lesquels « coordonner les modes de sanction en matière de santé et de sécurité au travail, et réviser l’échelle des peines ». Au vu de ses convictions et de ses actes, il y a peu d’espoir que M. Macron aille vers plus de rigueur. Autre engagement :
« abroger les dispositions devenues sans objet [sic] et assurer la cohérence rédactionnelle dans le code du travail, et entre le code du travail et les autres codes ». L’harmonisation en cours avec le code de procédure civile ne laisse guère planer de doute sur la « cohérence ».
Au total, le gouvernement a obtenu de légiférer vingt-trois fois par ordonnance, sur des sujets qui ne tiennent pas de la bagatelle — les ratifications qui interviennent plus tard passent alors comme une lettre à la poste. A quelques exceptions près, ce déni de démocratie a été accepté par des députés socialistes dont une majorité oscille entre godillots et muets du sérail.
A partir du 7 avril, les sénateurs doivent prendre le relais. La majorité des membres de la Haute Assemblée se situant à droite depuis l’automne 2014, il est peu probable que les changements aillent dans le sens du progrès social. Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, a prévenu qu’il se battrait pour rendre « la loi plus cohérente » (lui aussi) : recul des seuils sociaux ; nouvel assouplissement de la loi sur les 35 heures ; remise en cause de la loi Hamon sur l’information des salariés en cas de vente d’une entreprise…
Le ministre de l’économie s’est dit ouvert à toute modification. Du reste, Bruxelles réclame déjà davantage. Commentant le projet de loi Macron lors de son audition au Sénat, le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, ne s’en est pas caché : « Ce projet est bien accueilli par la Commission (...). Le travail du dimanche, la mobilité, la réforme des prud’hommes ou des professions juridiques réglementées : tous ces domaines sont importants, mais ce n’est qu’un début. Il y a deux cents professions réglementées en France (17). » Au gouvernement français de s’atteler à la tâche. Il devrait le faire avec d’autant plus de vigueur que cela ne heurte pas franchement ses convictions profondes. M. Valls a fait le voyage à Pékin pour « vanter la France probusiness » qui « réforme le marché du travail et met plus de liberté dans son économie » (30 janvier 2015).
Une douce musique aux oreilles du gouvernement et des patrons chinois. Le responsable des affaires européennes au ministère du commerce, M. Ma She, n’expliquait-il pas que, à « l’heure de la mondialisation, on ne peut pas garder les acquis sociaux. Il faut que les Français comprennent qu’il n’y a pas de dîner gratuit (18) » ? Devant les patrons américains, à Las Vegas, M. Macron a pris un engagement ferme : « Les entreprises [pourront] contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés », comme le raconte avec gourmandise The Wall Street Journal (8 mars 2015). Au moins des promesses qui seront tenues.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que des Français, à trop souffrir, finissent par bouder les urnes, quand ils ne se laissent pas séduire par l’extrême droite : le Front national a rassemblé le quart des voix lors du premier tour des élections départementales du 22 mars 2015 — aux précédentes, en 2011, il en totalisait 15,1 % et en 2008… 4,8 %. L’expérience prouve que les postures et les discours moralisants avec trémolos dans la voix embrayent dans le vide.
Mieux vaudrait respecter les engagements pris devant les citoyens. Et que les députés utilisent leurs prérogatives pour résister, forger des solidarités avec d’autres élus (grecs, par exemple), impulser des mouvements sociaux, et qu’ils se décident à reléguer les dogmes de Bruxelles au grenier de l’histoire, entre le rouet et la lampe à huile.
Martine Bulard
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(1) Voir le texte du projet de loi sur le site du Sénat.
(2) Agence France-Presse, 20 février 2015.
(3) Le 19 mars 2015.
(4) PierreMoscovici, « Pour la France, engagement, responsabilité et réformes », 2 mars 2015, sur son blog.
(5) A l’Assemblée nationale, le 9 février 2006, lorsque le premier ministre Dominique de Villepin a recouru au 49-3 pour faire voter le contrat première embauche (CPE).
(6) Les députés peuvent certes déposer une motion de censure contre le gouvernement, mais il suffit qu’une majorité vote la confiance pour que la loi soit « considérée comme adoptée ».
(7) Alexandrine Bouilhet, « Une mission de la Commission européenne à Paris pour éplucher les comptes de la France », Le Figaro, Paris, 13 janvier 2015.
(8) Cf. l’analyse de la loi Macron par Gérard Filoche sur son site, www.filoche.net, et « Pourquoi changer l’article 2064 du code civil ? », Le Monde, 14 janvier 2015.
(9) Cf. Hélène Y. Meynaud, sociologue et juge des prud’hommes, « Croissance des marges et affaiblissement du droit du travail dans le monde du travail », Les Mondes du travail, Evry, mars 2015.
(10) Lire Gilles Balbastre, « Travail détaché, travailleurs enchaînés », Le Monde diplomatique, avril 2014.
(11) Cf. Philippe Moati et Laurent Pouquet, « L’ouverture des commerces le dimanche » (PDF), Crédoc, Cahier de recherche, no 246, Paris, novembre 2008.
(12) « La France demeure le pays le plus visité » (PDF), Le 4 Pages, no 36, juillet 2014, www.entreprises.gouv.fr
(13) Cf. l’analyse détaillée de Richard Abauzit, « Loi Macron : après l’Assemblée nationale, c’est pire », 5 mars 2015, blogs.mediapart.fr
(14) Michel Cabirol, « “Berlin ne pourra pas bloquer” les exportations de Nexter », La Tribune, Paris, 11 février 2015.
(15) « Le projet de loi Macron ou comment construire une France hyperlibérale » (PDF), dossier d’Economie et Politique, no 724-725, Paris, décembre 2014.
(16) Compte rendu de la discussion sur l’article 45 de la loi, Assemblée nationale, 9 février 2015.
(17) Audition de M. Dombrovskis par les commissions européenne et des finances du Sénat, 11 mars2015, www.senat.fr
(18) « Xi Jinping ou l’art de concilier Mao Zedong et Adam Smith », Les blogs du Diplo, Planète Asie, 27 mars 2014.
Voir aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de mai 2015
El ministro de Economía de Francia, Emmanuel Macron.AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN
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RTVE.es / AGENCIAS 12.05.2015
El Senado francés ha aprobado en primera lectura el proyecto de ley para el crecimiento y el empleo, impulsado por el ministro de Economía, Emmanuel Macron.
El debate en esa cámara, en la que la oposición de derecha tiene la mayoría, comenzó el pasado 7 de abril y concluyó con 185 votos a favor, 44 en contra y la abstención de gran parte de los socialistas.
El texto, al que se introdujeron 627 enmiendas, será examinado ahora por una comisión mixta paritaria, compuesta por siete diputados y siete senadores, encargados de encontrar una versión de consenso. En caso de no llegar a un acuerdo, la decisión final quedará en mano de la Asamblea Nacional.
"Le hemos dado fuerza para hacer de él un acelerador del crecimiento, al dotarle de lo que le faltaba, flexibilidad, en concreto en lo relativo al derecho laboral, y simplificación", ha dicho el jefe de la conservadora Unión por un Movimiento Popular (UMP) en el Senado, Bruno Retailleau.
Este proyecto de ley fue aprobado el pasado febrero en la Asamblea a través de un dispositivo constitucional que se saltó el debate en esa cámara para sortear la previsible falta de apoyo parlamentario.
En su presentación en octubre pasado, Macron diagnosticó que la economía francesa padecía de "desconfianza, complejidad y corporativismo" y aseguró que este proyecto aspiraba a retomar la vía del "interés general" al estimular la inversión y la innovación y desarrollar, según sus cálculos, el empleo y el diálogo social.
En su paso por el Senado se ha mantenido una de las medidas más visibles, la que contempla ampliar de 5 a 12 los domingos al año en los que los comercios pueden abrir en las zonas turísticas, y se ha ampliado esa disposición a los establecimientos de bienes culturales.
Este proyecto de ley, uno de los pilares del Gobierno para el presente curso político, abarca otras disposiciones para la desregulación de ciertas profesiones como los notarios o la liberalización de sectores como el transporte público en autobús interurbano.
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El debate en esa cámara, en la que la oposición de derecha tiene la mayoría, comenzó el pasado 7 de abril y concluyó con 185 votos a favor, 44 en contra y la abstención de gran parte de los socialistas.
El texto, al que se introdujeron 627 enmiendas, será examinado ahora por una comisión mixta paritaria, compuesta por siete diputados y siete senadores, encargados de encontrar una versión de consenso. En caso de no llegar a un acuerdo, la decisión final quedará en mano de la Asamblea Nacional.
"Le hemos dado fuerza para hacer de él un acelerador del crecimiento, al dotarle de lo que le faltaba, flexibilidad, en concreto en lo relativo al derecho laboral, y simplificación", ha dicho el jefe de la conservadora Unión por un Movimiento Popular (UMP) en el Senado, Bruno Retailleau.
Este proyecto de ley fue aprobado el pasado febrero en la Asamblea a través de un dispositivo constitucional que se saltó el debate en esa cámara para sortear la previsible falta de apoyo parlamentario.
En su presentación en octubre pasado, Macron diagnosticó que la economía francesa padecía de "desconfianza, complejidad y corporativismo" y aseguró que este proyecto aspiraba a retomar la vía del "interés general" al estimular la inversión y la innovación y desarrollar, según sus cálculos, el empleo y el diálogo social.
En su paso por el Senado se ha mantenido una de las medidas más visibles, la que contempla ampliar de 5 a 12 los domingos al año en los que los comercios pueden abrir en las zonas turísticas, y se ha ampliado esa disposición a los establecimientos de bienes culturales.
Este proyecto de ley, uno de los pilares del Gobierno para el presente curso político, abarca otras disposiciones para la desregulación de ciertas profesiones como los notarios o la liberalización de sectores como el transporte público en autobús interurbano.
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