Aurore Gorius
Aurore Gorius, née en 1978
1, est une journaliste d'investigation française indépendante, qui s'est spécialisée dans les enquêtes économiques et politiques.
En 2002, elle reçoit une mention spéciale du prix américain décerné par Investigative Reporters and Editors (en) pour une enquête collaborative publiée dans le quotidien Le Figaro sur une affaire de corruption touchant des hommes politiques depuis 1992 :
« Nous avons enquêté sur une loi touchant les salaires des hommes politiques et comment un mécanisme avait été créé pour reverser leurs dépassements de salaires à des membres de leur parti. Un détournement qui concernait 45 millions de dollars sur la décennie passée. »
2. Sortie d'une formation à l'Institut français de presse (Université Panthéon-Assas), elle a d'abord travaillé pour le quotidien France soir, entre 2001 et 2006, couvrant les sujets sociaux et économiques. Elle est membre de la rédaction de l'hebdomadaire Le Point (service économie, rubrique social) entre 2006 et 2009 puis chef des informations à Arrêt sur images en 2012. Depuis 2011, elle est également chroniqueuse au Plus du Nouvel Observateur
3. Elle enseigne le journalisme d'investigation à l'Institut Européen du Journalisme de Paris depuis 2011
4. Aurore Gorius est l'un des trois journalistes français membres de l'International Consortium for Investigative Journalism (ICIJ), avec Fabrice Arfi et Karl Laske, journalistes à Mediapart
5. Elle est également membre de l'Association des journalistes de l'information sociale
6. Publications
La CFDT ou la volonté de signer (en collaboration avec Michaël Moreau), Les Docs, Hachette Livre, 2006 ;
Emploiscopie : Tout ce que l'on doit savoir sur le travail et l'emploi (en collaboration avec Laurent Janneau), Autrement, 2007-2008 ;
Les gourous de la com' : trente ans de manipulation économique et politique (en collaboration avec Michaël Moreau), La Découverte, 20117.
Fils et filles de... Enquête sur la nouvelle aristocratie française (en collaboration avec Anne-Noémie Dorion), La Découverte, 2015.
Aurore Gorius
Chiara Mastroianni, fille de Marcello et de Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg, fille de Serge et de Jane Birkin, Arthur H., Izïa et Kên Higelin, tous enfants de Jacques, Marie Drucker, fille de Jean et nièce de Michel, Thomas Dutronc, fils de Jacques et de Françoise Hardy, Arnaud Lagardère, fils de Jean-Luc, Léa Seydoux, fille de…
Interminable est la liste de ces enfants de chanteurs, d’acteurs, ou d’animateurs télé, ou bien héritiers d’un empire économique qui occupent, à la suite de leurs parents, la une des médias.
Cette enquête édifiante révèle que les dynasties ne se sont jamais aussi bien portées que dans la France d’aujourd’hui. La célébrité, l’argent et même le talent se transmettent plus que jamais par le sang. Certaines de ces familles ont une longue histoire, comme les dynasties industrielles ou politiques, où l’entre soi et l’héritage le disputent au népotisme. Mais, plus étonnant, les « fils et filles de » ont aussi conquis des domaines plus inattendus, comme celui de la culture, de la musique et du cinéma
L’apparition de la politique-spectacle, les mariages entre stars et grands patrons ou responsables politiques, eux-mêmes « fils ou filles de », tout cela dessine une véritable « société de cour » digne de l’Ancien Régime. Parents et enfants confortent leur pouvoir et leur célébrité en nouant des alliances au profit d’un système qui fonctionne en circuit fermé, où les enfants se côtoient dès le plus jeune âge, partageant les mêmes écoles et les mêmes loisirs.
La France de la Révolution française et de la fin des privilèges a donné naissance à une nouvelle aristocratie.
La lista es interminable de esos hijos cantantes, actores, animadores de televisión, o los herederos de un imperio económico que ocupa, como resultado de sus padres, el centro de atención de los medios.
Esta encuesta edificante muestra que las dinastías nunca se han sostenido tanto como en la Francia de hoy. Fama, dinero e incluso el talento no se transmiten más que nunca por la sangre. Algunas de estas familias tienen una larga historia, como dinastías industriales o políticas, que entre ellas y el legado compiten con nepotismo. Pero más sorprendente, los "hijos y las niñas" también conquistaron las zonas más inesperadas, como la cultura, la música y el cine
La aparición de la política del espectáculo, los matrimonios entre las estrellas y los grandes jefes o de los propios políticos, "hijos o hijas," de todo esto surge una verdadera "sociedad cortesana" digna del Antiguo Régimen. Los padres y los hijos refuerzan su poder y la fama mediante la construcción de alianzas en favor de un sistema que funciona en un circuito cerrado, donde los hijos se codean desde una edad temprana, compartiendo las mismas escuelas y las mismas aficiones.
La Francia de la Revolución Francesa y el fin de los privilegios, ha creado una nueva aristocracia.
«Les dynasties ne se sont jamais aussi bien portées dans notre pays»
• Home ACTUALITE Société
•
o Par Judith Duportail
o Mis à jour le 16/09/2015 à 12:48
o Publié le 16/09/2015 à 12:09
INTERVIEW - La crise économique ne frappe pas les grandes familles françaises car elles savent user de stratégies pour maintenir «leurs privilèges». C'est la thèse du livre de Anne-Noémie Dorion et Aurore Gorius, auteurs de Fils et filles de, enquête sur la nouvelle aristocratie française.
Le Figaro. - Dans votre livre, vous expliquez que les dynasties ne se sont jamais aussi bien portées. Pourtant, le népotisme ou la reproduction sociale ne sont pas des phénomènes nouveaux?
Anne-Noémie Dorion. - La transmission du capital économique n'est en effet pas un phénomène nouveau dans notre pays. 64% des entreprises du CAC40 sont ainsi contrôlées par une famille entière, contre 20% aux Etats-Unis et 24% en Grande-Bretagne. Mais ce qui nous a semblé intéressant c'est, alors que la France traverse une période de crise, que les «enfants de» ne semblent pas être touchés. Ils continuent, notamment grâce à leurs parents et à la puissance de leur nom à tirer leur épingle du jeu, en jouissant de privilèges dignes de l'ancien régime. Ils sont omniprésents dans nos élites, dans tous les lieux de pouvoir. Les dynasties ne se sont jamais aussi bien portées qu'aujourd'hui, ne pâtissent pas de la crise. Dans le monde de la culture notamment, les jeunes acteurs sont quasiment exclusivement tous issus du sérail. Prenez Léa Seydoux, Charlotte Gainsbourg, Lou Doillon, Chiara Miastroianni, etc. Ces enfants ont grandi dans le milieu du cinéma et en connaissent les codes, ont baigné dans les réseaux. Ils ne sont pas impressionnés par le monde du cinéma, il n'est pas habillé d'un halo surnaturel comme pour le commun des mortels, ce qui fait qu'à 20 ans, ils ont déjà une longueur d'avance sur les autres.
Ce qui est frappant dans votre livre c'est que vous racontez aussi que les élites ne se mélangent pas non plus entre elles. La fille de Jean-Louis Debré a ainsi abandonné son projet de devenir comédienne, expliquant que c'est impossible «quand on n'est pas fille de...»
Les élites sont amenées à se rencontrer en dehors de leur secteur, notamment lors des rallyes, ces soirées et activités qui réunissent des adolescents de bonne famille. Mais malgré cela, dans la vie professionnelle, il faut être issu du bon sérail pour bénéficier de la puissance symbolique de sa famille. En effet, certains noms ont acquis un pouvoir quasi magique à l'intérieur d'un univers. Le nom dépasse l'individu et se transforme en marque dont l'héritier devient l'ambassadeur... Or le nom
Debré possède une forte puissance symbolique en politique, mais pas dans le monde du cinéma.
Pour résister à la crise, ces élites déploient de nouvelles stratégies. Vous décrivez aussi une concurrence exacerbée entre fils et filles de, avec des enfants de 3 ans qui passent des entretiens d'admission dans des écoles maternelles et qui arrivent en pleurs, tellement pressurisés par leurs parents?
Chacun a conscience qu'il faut faire partie des meilleurs, et donc être meilleur que la masse mais aussi que son voisin. Ainsi, la concurrence entre établissements scolaire commence dès le jardin d'enfants. Il faut commencer à tisser un réseau dès le bac-à-sable! Plusieurs écoles sont particulièrement prisées, comme l'école Montessori, l'école alsacienne ou l'Ecole internationale bilingue. Même au sein de l'élite, il faut tirer son épingle du jeu, et faire partie d'une grande famille vous hisse automatiquement un niveau au-dessus des autres. Par exemple, le club Le Polo est le cercle sportif le plus huppé de l'Hexagone, existant depuis 1892. Nicolas Sarkozy y côtoie Charles Beigbeder et Delphine Arnault. Au sein de ce club très privé, il existe une hiérarchie entre membres.
Ceux dont les parents étaient déjà inscrits ne doivent pas payer de droits d'inscription et peuvent l'intégrer de facto. Les autres doivent rédiger une lettre de motivation, passer un entretien, trouver deux parrains. Le délai d'attente pour y entrer est d'environ 3 ans, alors que les fils et filles de bénéficient eux de passe-droits.
Anne-Noémie Dorion et Aurore Gorius sont journalistes indépendantes. Elles ont écrit Fils et filles de, enquête sur la nouvelle aristocratie françaises aux édictions La Découverte, à paraître ce jeudi.
Comment les “fils et filles de…” ont pris le pouvoir sur la culture en France
17/09/2015 | 17h49
Qu’ils appartiennent au monde économique, politique ou artistique, les héritiers s’affichent au grand jour. Dans “Fils et filles de…” (éd. La Découverte), deux journalistes ont enquêté sur cette nouvelle aristocratie, apparemment inexpugnable.
Guy Bedos affiche un sourire à moitié gêné quand la première question posée par Laurent Ruquier fuse, le 12 septembre, sur le plateau d’On n’est pas couché, où il fait la promo de son auto-biographie, Je me souviendrai de tout (Fayard). Elle porte sur le succès de ses deux enfants, Nicolas (humoriste et metteur en scène) et Victoria (scénariste et comédienne, co-auteur du scénario de La Famille Bélier). “C’est extraordinaire, se gausse l’heureux paternel. J’en viens même à avoir honte d’avoir des enfants qui réussissent, qui sont doués, qui travaillent, alors que le pays, notamment sa jeunesse, est tellement mal en point”.
Guy Bedos n’est évidemment pas le seul artiste dont la progéniture occupe, à sa suite, le devant de la scène. Qu’ils évoluent dans le monde économique, politique ou artistique, les “enfants de” tiennent le haut du pavé dans leurs domaines respectifs. Comme si, cinquante ans après que le sociologue Pierre Bourdieu a pointé du doigt la reproduction sociale des élites en France, l’entre-soi des élites n’avait jamais été aussi intense, et la méritocratie en panne. C’est ce que démontrent les journalistes Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion dans un ouvrage passionnant, Fils et filles de… Enquête sur la nouvelle aristocratie française (éd. La Découverte).
L’entre-soi de la crème de la crème
Cette plongée au cœur de la fabrique des privilèges commence dans les fameuses écoles libres des quartiers chics de Paris, où les élites économiques et culturelles envoient leurs chères têtes blondes.
On en recensait 150 il y a dix ans, elles sont 700 aujourd’hui. Qu’elles s’appellent Montessori, Ecole internationale bilingue, Montaigne ou Jeannine-Manuel, elles accueillent de nombreux descendants de politiques, d’hommes d’affaires ou de stars, biberonnés de manière précoce à l’anglais, au chinois et aux sorties culturelles.
Parmi les anciens de l’Ecole alsacienne, on compte par exemple les enfants de Simone Veil, Wolinski, Martine Aubry, Elisabeth Guigou, Arnaud Montebourg, Alain Juppé ou encore de Vincent Peillon (“paradoxe extrême”) quelques années avant qu’il ne devienne ministre de l’Education nationale. “Le caractère privé de l’école ne semble pas froisser le patriotisme des hommes politiques, y compris ceux de gauche”, remarquent les auteurs.
Plus tard, ces élèves privilégiés participeront aux mêmes soirées – des rallyes organisés par de grandes familles – et fréquenteront les mêmes boîtes de nuit, comme Le Baron, avenue Marceau, club le plus branché de Paris. Pour intensifier l’entre-soi, ils se retrouvent en vacances ensemble aussi, à Megève ou Saint-Barth, loin de la masse des touristes. Bref tout est fait pour renforcer les dynasties en les unissant.
“Le family business à la française du septième art”
Mais au-delà des ghettos du gotha déjà parcourus de long en large par les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, et des irréductibles dynasties politiques locales ou partisanes, les auteurs révèlent que les “fils et filles de” monopolisent aussi le monde de la culture. A commencer par le cinéma : “En 22 ans d’existence, les Césars ont ainsi consacré une douzaine d’enfants issus de familles d’artistes ou de professionnels du cinéma”, écrivent-ils, comme Vanessa Paradis (nièce du comédien Didier Pain, qui l’a parrainée à ses débuts), Guillaume Depardieu, Lola Dewaere, Louis Garrel, Chiara Mastroianni, Laura Smet, Pierre Rochefort ou encore Izïa Higelin. Les nouveaux talents récompensés par le meilleur espoir sont donc bien souvent des héritiers.
Ce sont cependant les trois frères de la famille Seydoux qui incarnent le mieux “le family business à la française du septième art”. Jérôme, président de Pathé, Nicolas de Gaumont et Michel, producteur.
Léa prolonge cet héritage à l’écran, tandis que la fille de Nicolas, Sidonie Dumas, a pris les rênes de Gaumont en 2004 : “Gaumont fonctionne selon le bon vieux schéma du capitalisme patrimonial”.
Le pouvoir (parfois écrasant) du nom
Au cours de leurs pérégrinations dynastiques, Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion croisent le chemin d’héritiers dont le patronyme s’avère parfois écrasant, comme l’acteur Marius Colucci, le fils de Coluche. “Je ne peux pas lutter contre mon ascendance. Il y a les ‘fils de’ et les ‘fils de monstres sacrés’”, raconte-t-il. Par la force des choses, à force de baigner dans l’univers cinématographique, il embrasse la même voie que son père. A neuf ans, il exécute son unique duo avec lui, dans un clip réalisé par Jean-Baptiste Mondino. Et à douze ans, grâce à l’amitié de sa mère avec le réalisateur Gérard Mordillat, il décroche son premier rôle dans Cher frangin.
La musique n’échappe pas à ce phénomène de transmission héréditaire. Les métros parisiens ne se sont-ils récemment couverts d’affiches réunissant la famille Chédid (Matthieu, Joseph et Anna) pour promouvoir ses concerts ?
Là encore, le pouvoir du nom fait ses preuves. Les enfants de Jacques Higelin en font encore la démonstration, d’Arthur H (révélation masculine en 1993) à Izïa vingt ans plus tard en passant par Kën qui réalise des clips pour son demi-frère. Plus étonnant encore : les fils d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy, tandem le plus populaire de la chanson française, ont sorti deux albums avec le groupe Les Cherche-Midi dans les années 1990.
in-video recommendations by
“L’époque n’est pas favorable à l’émergence de nouveaux talents”
Ces phénomènes s’expliquent, selon les auteurs, par le fait que les investisseurs sont de plus en plus nombreux à parier sur les patronymes : “Outre l’entraide familiale, l’époque n’est pas favorable à l’émergence de nouveaux talents […] Dans ce contexte économique très contraint, un ‘enfant de’ portant un nom connu, c’est rassurant”.
Alors que les politiques exaltent “l’auto-réalisation de soi”, il est donc paradoxal de constater que la reproduction sociale s’accentue. Les privilèges abolis une fameuse nuit du 4 août semblent avoir repris leurs droits. C’est encore plus flagrant dans l’univers entrepreneurial. Comme le déclarait avec humour sur France Culture Yvon Gattaz, ancien dirigeant du CNPF (l’ancien MEDEF) et père de Pierre Gattaz (président…du MEDEF), paraphrasant Marcel Achard : “Pour la succession des entreprises familiales les patrons se partagent en deux catégories : ceux qui croient que le génie est héréditaire et ceux qui n’ont pas d’enfants”.
Fils et filles de… Enquête sur la nouvelle aristocratie française, de Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion, éd. La Découverte, 280 p., 17 €
par Mathieu Dejean
le 17 septembre 2015 à 17h49
Les 7 familles de “fils et filles de”
Publié le 22 septembre 2015 à 6:00
Dans le cinéma, la musique, mais aussi en politique ou dans le business, les “fils et filles de” n’ont jamais été aussi visibles. Petit jeu des sept familles, alors que deux journalistes publient une enquête sur ce sujet qui fâche.
Esther Garrel, Louis Garrel et Lou Doillon / Instagram
“Il y en a tellement en France qu’il nous a été difficile de structurer notre travail pour ne pas partir dans tous les sens”, plaisante Anne-Noémie Dorion en évoquant le sujet du livre qu’elle vient de cosigner avec Aurore Gorius, intitulé Fils et filles de… Enquête sur une nouvelle aristocratie française. Rien que cette semaine, on a pu voir Lou Doillon en couverture de Télérama, Lily-Rose Depp, nouvelle égérie Chanel, en Une de Grazia ou encore Louis Garrel écumant les plateaux télé pour faire la promo de son premier film en tant que réalisateur. Si personne ne nie qu’ils ont du talent, les “enfants de” bénéficient ces derniers temps d’une visibilité accrue, à l’heure où le jeune lambda a bien du mal à faire son trou dans un pays en crise. “On nous dit souvent que ce n’est pas nouveau, embraye Aurore Gorius, mais le phénomène s’accélère nettement depuis les années 2000. Les ‘fils et filles de’ ne connaissent pas la crise.”
“Cette question n’a rien d’anecdotique à l’heure où l’ascenseur social est en panne et où une bonne partie de la jeunesse a l’impression qu’elle n’a accès à rien.”
Si certaines lignées familiales sont clairement identifiées -certaines le revendiquent et l’affichent fièrement- d’autres le sont beaucoup moins. Et pourtant, en choisissant de travailler sur cette question brûlante au pays de la méritocratie, les deux journalistes se sont rendu compte à quel point l’élite française était peuplée de patronymes connus. À l’époque du personal branding, pas étonnant qu’un nom bankable devienne une marque à part entière et que la jeune génération mise dessus pour contourner la morosité d’un marché du travail hostile. “Aujourd’hui, on se transmet un nom comme on se transmettait autrefois un titre de noblesse ou un patrimoine”, analysent les auteures, qui ne parlent pas de nouvelle aristocratie par hasard.
Pourtant, le sujet est tabou -“On a essuyé des dizaines et des dizaines de refus d’interviews”- et révèle selon les auteures une schizophrénie bien française entre des réflexes monarchiques et un vrai désir de république. L’exemple de l’école est à ce titre très parlant: les établissements privés n’ont jamais été aussi prisés alors que l’éducation est un des piliers traditionnels de la mobilité sociale. “C’est fou de voir à quel point cet entre-soi résiste, voire progresse à notre époque, poursuit Aurore Gorius.
Mais ce n’est pas parce que ça a toujours existé qu’il ne faut pas en parler, au contraire. Cette question n’a rien d’anecdotique à l’heure où l’ascenseur social est en panne et où une bonne partie de la jeunesse a l’impression qu’elle n’a accès à rien.” Les deux journalistes ont donc décidé de mettre les pieds dans le plat et décryptent les rouages d’une société française qui, 13 ans après la mort de Pierre Bourdieu, a parfaitement intériorisé la reproduction des élites, lesquelles ne se sont jamais aussi bien portées. Tour d’horizon des tribus principales de “fils et filles de”.
1) Les artistes
C’est sans conteste la catégorie la plus importante, qui aurait pu constituer un article à elle seule. Du cinéma à la chanson en passant par la littérature, la vie culturelle française semble n’être qu’une grande famille. “Attention, on ne dit pas qu’ils n’ont pas de talent, mais à talent égal, c’est le ‘fils de’ qui aura la place, argumente Anne-Noémie Dorion. Il a le bon carnet d’adresses, sa famille est le meilleur des coupe-file et il va beaucoup plus vite.” Les exemples sont trop nombreux pour les citer, mais les deux auteures reviennent dans leur ouvrage sur les récompenses particulièrement précoces obtenues par des Charlotte Gainsbourg, Izïa Higelin ou Romane Bohringer, adoubées par un milieu qu’elles connaissent comme leur poche pour y être nées.
Izïa assume pleinement son statut de fille de Jacques Higelin / Instagram
Anne-Noémie Dorion et Aurore Gorius évoquent aussi le cas intéressant de Kourtrajmé, le collectif de jeunes cinéastes monté dans les années 90 par les ados Romain Gavras et Kim Chapiron, respectivement fils de Costa-Gavras et Kiki Picasso, qui revendiquaient une identité urbaine et rebelle, inspirée des codes de la banlieue. Il y avait à l’origine un troisième fondateur, Toumani Sangaré, qui a, depuis, disparu des radars. Lui venait vraiment d’un milieu populaire et n’a pas pu s’appuyer sur son réseau pour percer.
“Pour ceux qui n’ont pas de parents introduits, il reste l’humiliation et la sélection sans pitié des télé-crochets.”
Dans la musique, les exemples sont également légion, mais, pendant leur enquête, les deux journalistes se sont régulièrement vu rétorquer que les télé-crochets étaient un bon moyen de percer quand on n’était pas du sérail. “Pour ceux qui n’ont pas de parents introduits, il reste l’humiliation et la sélection sans pitié à l’écran, ironise Aurore Gorius. Sans compter que pour un Julien Doré et une Nolwenn Leroy, combien sont immédiatement retombés dans l’oubli?”
2) Les modeux
Autre milieu aristocratique par excellence, celui de la mode, où “là, pas besoin de faire quoi que ce soit, le nom se suffit à lui-même pour avoir son ticket d’entrée”, explique Anne-Noémie Dorion. Les filles d’Inès de la Fressange n’étaient pas encore majeures qu’elles étaient déjà mannequins comme leur mère, et Lily-Rose Depp, à 16 ans, poste des photos d’elle avec Karl Lagerfeld sur Instagram.
“Depuis 2010, les agences mettant en relation les marques et les enfants stars se multiplient car la demande s’intensifie, précisent les journalistes. En les prenant comme égérie, les maisons ciblent à la fois les consommateurs acquis et les prescripteurs en demande de nouveauté, elles sont doublement gagnantes.” Moins chers que leurs parents, plus jeunes et plus connectés sur les réseaux sociaux, les “fils de” constituent une aubaine pour un secteur en quête permanente de sang neuf et de “new faces”, ce qui explique l’adhésion générale du milieu autour de ces intronisations.
Lily-Rose et Johnny Depp / Instagram
3) Les politiques
Dans la famille des politiques, la pratique de l’héritage existe depuis toujours, mais les baronnies locales n’ont pas disparu quand le milieu a commencé à se démocratiser et se professionnaliser. Par ailleurs, la peoplisation de la politique a encouragé les personnalités à mettre en avant leur famille…
Et donc leurs enfants. “Le vrai tournant s’est opéré quand la presse people a compris, à l’époque de Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, que la vie privée des politiques faisait vendre. Elle se sert d’eux et ils se servent d’elle”, analysent les auteures. Et si la nomination de Jean Sarkozy à la tête de l’Epad avait fait grand bruit au point d’être ajournée, le népotisme reste monnaie courante dans cet univers très élitiste. Le Front national incarné par la dynastie Le Pen en est sans doute le meilleur exemple.
“Le nom rassure les partis, qui soutiennent cette transmission.”
Forcément, un patronyme aide significativement à devenir assistant parlementaire (le livre révèle que 20% des députés font travailler au moins un membre de leur famille) ou à être parachuté sur une liste. “Le nom rassure les partis, qui soutiennent cette transmission. Et même si les élus peuvent asseoir leur légitimité grâce au suffrage universel, il ne faut pas oublier que le système est biaisé puisque l’électeur n’a pas le choix d’introniser les candidats”, rappelle Anne-Noémie Dorion.
4) Les sportifs
Moins connus et moins fréquents, les exemples existent toutefois parmi les athlètes. Ainsi, les quatre fils Zidane jouent en club, tout comme le fils Thuram ou le fils Djorkaeff, famille où l’on est footballeur depuis trois générations. Le fils Noah, lui, n’a pas choisi le tennis comme son père, mais le basket. “C’est intéressant car plus étonnant, reconnaissent Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion.
Dans le sport, une performance se mesure, donc elle est plus difficile à obtenir en héritage. C’est d’ailleurs pourquoi ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils existent quand même, ce qui prouve que cette culture élitiste n’épargne aucun domaine. Les enfants Zidane, par exemple, sont scrutés par toute la presse, qui aime suivre les dynasties et leur donne parfois un écho exagéré.”
5) Les patrons
Moins “paillettes” mais tout aussi puissant, le milieu des affaires n’échappe pas à la tendance. Il faut dire que le capitalisme a toujours été familial et que la transmission d’une entreprise de père en fils est passée depuis longtemps dans les mœurs. Le hic, c’est qu’à l’heure de la guerre des talents et de la mondialisation, il est plus difficile de faire accepter aux salariés de longue date qu’il n’y aura pas d’entretien d’embauche pour remplacer le patron vieillissant.
“Vues de Londres, les élites françaises semblent complètement coupées du reste de la société française.”
Si les Anglo-saxons ont la culture du self-made man, l’Hexagone reste bien frileux en la matière: l’enquête Fils et filles de… révèle qu’au début des années 2000, 64% des entreprises cotées en Bourse sont sous le contrôle d’une famille contre 20% aux États-Unis et 24% en Grande-Bretagne.
“Un journaliste du Sunday Times qui nous interviewait nous a confié que vues de Londres, les élites françaises semblaient complètement coupées du reste de la société française, bien plus que là-bas où des passerelles existent encore”, racontent les deux journalistes.
Les Lagardère, les Arnault ou les Pinault viennent immédiatement à l’esprit quand on évoque les familles de grands patrons, mais le milieu des start-ups, censé être plus accessible, est tout aussi concerné. “Un nom est très efficace pour attirer des investisseurs et des médias, lance Aurore Gorius.
Dans un univers qui repose sur la prime au premier entrant, c’est un avantage de taille pour lancer sa boîte.”
Le +1 de Natalia Vodianova s’appelle Antoine Arnault, fils de Bernard / Instagram
6) Les médias
Plus que le népotisme, c’est la complaisance envers les enfants stars qui caractérise le milieu médiatique, toujours prompt à tendre son micro à un nom connu, potentielle garantie d’audience. Mais là encore, il existe des lignées, les plus célèbres étant les Poivre d’Arvor ou les Drucker. Pour les auteures de l’enquête Fils et filles de…, le plus faible nombre de cas s’explique certainement par la plus récente apparition des médias et notamment de la télévision. “Ce n’est pas encore massif comme ailleurs, mais notre profession n’échappe pas à ce phénomène global”, commentent-elles.
7) Les aristos
La dernière famille est en fait la première puisque l’aristocratie traditionnelle, qui subsiste aujourd’hui, bien que parfois désargentée, est celle qui a inspiré toutes les autres. “C’est là qu’est née cette culture de l’entre-soi et la volonté de conserver un pouvoir en le transmettant de père en fils, expliquent Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion. Aujourd’hui, les rallyes s’ouvrent à l’extérieur et ne sont plus destinés à favoriser des mariages mais à entretenir le réseau dès l’adolescence.
“La logique de reproduction sociale des aristos est désormais à l’œuvre dans le reste de la société.”
La logique de reproduction sociale des aristos, qu’ont si bien analysée les Pinçon-Charlot, est désormais à l’œuvre dans le reste de la société. Et c’est intéressant de voir que les frontières se brouillent, François Hollande vit avec Julie Gayet, Nicolas Sarkozy avec Carla Bruni, François-Henri Pinault avec Salma Hayek. L’interpénétration croissante des mondes économiques, politiques et du spectacle crée un effet de cour, dont les fils et les filles de sont les futurs princes et princesses.”
Myriam Levain
Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion, Fils et filles de… enquête sur une nouvelle aristocratie française
La Découverte